CHAPITRE XVII - Prisonnières des gitans

 

 

Les deux cousines et Dagobert marchaient avec précaution en cherchant les rails qui conduisaient à la carrière. La chance les favorisa. Elles les retrouvèrent après l'espace vide où les gitans les avaient arrachés et n'eurent plus qu'à les suivre.

« Nous y voilà, dit Claude. Nous ne risquons plus rien. Dans quelques minutes, nous serons dans une grotte. J'espère qu'il y fera plus chaud qu'ici. Brrou! Ce brouillard est glacial.

— Il est tombé si brusquement, dit Annie en promenant autour d'elle le rayon de sa lampe électrique. J ai cru que je rêvais quand tout à coup… »

Elle s'interrompit brusquement. Dagobert grognait entre ses dents.

« Qu'y a-t-il, Dago? »

Il était immobile, les poils hérissés, la tête levée.

«  Oh! mon Dieu! Qu'y a-t-il encore? chuchota Annie. Je n'entends rien, et toi? »

Elles écoutèrent. Non, aucun son ne leur parvenait. Dagobert avait sans doute été alerté par un lapin ou un hérisson. Elles pénétrèrent dans la carrière. Le chien les précéda et disparut à leurs  yeux. Soudain il hurla… Un bruit sourd retentit et les aboiements se turent.

« Dagobert! Où es-tu? Dagobert, viens ici », cria Claude de toutes ses forces. Mais Dagobert n'obéit pas. Le sable crissa comme si l'on traînait un lourd fardeau. Claude courut dans cette direction.

« Dagobert! Oh! Dagobert, où es-tu? cria-t-elle. Que t'est-il arrivé? Es-tu blessé? »

Un épais rideau de brouillard flottait devant ses yeux et elle brandit les poings, furieuse de ne rien voir.

« Dago! Dago! »

Deux mains saisirent ses bras par-derrière et une voix cria :

«  Suivez-moi ! Nous vous avions avertis de ne pas fouiner dans cette lande! »

Claude se débattit, moins inquiète pour elle que pour Dagobert.

« Où est mon chien? Que lui avez-vous fait? cria-t-elle.

— Je l'ai frappé sur la tête, dit la voix qu'elle reconnut pour celle du père de Mario. Il n'est pas mort, mais il ne bougera pas d'un moment. Je vous le rendrai si vous êtes raisonnable. »

Claude n'était pas raisonnable. Elle se débattit à coups de pied et à coups de poing. Ce fut en vain. Une poigne de fer la retenait. Annie poussa un cri; elle avait donc été capturée, elle aussi. Quand Claude fut trop lasse pour continuer à lutter, elle fut conduite hors de la carrière avec Annie.

« Où est mon chien? sanglota-t-elle. Que lui avez- vous fait?

— Il ne risque rien, dit l'homme. Mais si vous ne vous taisez pas, il recevra un autre coup sur la tête. Vous resterez tranquille, j'espère. »

Claude se tut aussitôt. Elle eut l'impression de faire un très long trajet dans la lande; en réalité, une très courte distance séparait la carrière du campement des gitans.

« Est-ce que vous emmenez mon chien? demanda Claude qui ne pensait qu'à Dagobert.

— Oui, quelqu'un s'est chargé de lui, dit l'autre. On vous le rendra sain et sauf si vous obéissez à nos ordres! »

Claude fut réconfortée par cette promesse. Quelle nuit! Les deux garçons disparus. Dagobert blessé… Annie et elle capturées… Et cet horrible brouillard!

Il était moins dense aux alentours du campement des bohémiens protégé par la colline. Claude et Annie aperçurent la lueur d'un feu et quelques lanternes. Des hommes semblaient attendre. Sans en être sûre, Annie crut apercevoir Mario et Flop derrière eux.

«  Si seulement je pouvais parler à Mario, pensa-t-elle. Il saurait bientôt si Dagobert est grièvement blessé. Oh! Mario, viens près de nous! »

Elles furent menées près du feu et obligées de s'asseoir. Un des hommes poussa un cri de surprise.

« Mais ce ne sont pas les deux gars que nous avons vus. C'est un gamin moins grand que les autres et une fille.

— Nous sommes deux filles », dit Annie dans l'espoir que les gitans auraient plus de ménagements pour Claude s'ils savaient qu'elle n'était pas un garçon. « Nous sommes deux cousines. »

Claude la foudroya du regard, mais peu lui importait. Elles se trouvaient dans une situation dramatique. Ces hommes cruels et irrités étaient capables de tout. Ils croyaient que deux garçons avaient déjoué leurs plans. Mais, s'apercevant qu'ils avaient capturé des filles, ils leur rendraient peut-être la liberté. Claude et Annie furent soumises à un feu roulant de questions.

«  Où sont les garçons ?

— Nous n'en avons aucune idée. Ils se sont perdus dans le brouillard, dit Annie. Nous allions à la ferme et nous avons été séparés… Claude… je veux dire Claudine et moi, nous sommes retournées dans la carrière.

— Vous avez entendu l'avion?

— Bien sûr!

— Avez-vous vu tomber quelque chose?

— Nous n'avons rien vu, nous avons entendu », répondit Annie.

Claude la regarda avec fureur. Pourquoi Annie disait-elle la vérité? Elle croyait peut-être que Dagobert leur serait rendu si elle fournissait des renseignements exacts. Claude aussitôt se radoucit. Si seulement Dagobert leur était restitué!

« Avez-vous ramassé ce que l'avion a laissé tomber? » cria Castelli si brusquement qu'Annie sursauta.

Que répondre à cette question?

« Oh ! oui ! dit-elle. Nous avons ramassé quelques paquets assez bizarres. Que contenaient-ils? Le savez-vous?

— Ça ne vous regarde pas, trancha le gitan. Qu'avez-vous fait de ces paquets? »

Claude regarda Annie avec inquiétude. Sûrement elle n'allait pas trahir leur secret.

« Je n'en ai rien fait, dit Annie de sa voix la plus innocente. Les garçons ont dit qu'ils les cacheraient. Ils sont partis dans le brouillard et ils ne sont pas revenus. Alors Claude et moi nous sommes retournées à la carrière. C'est là que vous nous avez capturées. »

Les hommes se consultèrent à voix basse. Puis Castelli se tourna vers les filles.

« Où les garçons ont-ils caché les paquets?

— Je n'en ai pas la moindre idée, dit Annie. Je ne les ai pas suivis. Je n'ai pas vu ce qu'ils en faisaient.

— Croyez-vous qu'ils les ont encore? interrogea le gitan.

— Pourquoi n'allez-vous pas le leur demander? dit Annie. Je ne les ai plus vus depuis qu'ils nous ont quittées. Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus, ni eux ni les paquets.

— Ils se sont probablement perdus dans la lande, dit le vieux bohémien aux cheveux gris. Avec les paquets! Demain nous les chercherons. Ils ne pourront pas retrouver leur chemin. Nous les ramènerons ici.

— Ils refuseront de venir, dit Claude. Aussitôt qu'ils vous verront, ils s'enfuiront. Vous ne les attraperez pas. D'ailleurs ils retourneront à la ferme dès que le brouillard s'éclaircira.

— Emmenez ces filles, ordonna le vieux bohémien. Mettez-les dans le souterrain et attachez-les.

— Où est mon chien? cria Claude. Donnez-moi mon chien.

— Vous ne nous avez pas aidés, dit le vieux bohémien. Nous vous interrogerons de nouveau demain… et si vous êtes plus docile, vous aurez, votre chien. »

Deux hommes saisirent les filles par le bras et les entraînèrent vers la colline. L'un d'eux tenait une lanterne allumée. Ils s'engagèrent dans des passages souterrains. Le trajet fut long. Il y avait sous la colline un véritable labyrinthe de couloirs qui s'entrecroisaient. Annie se demanda comment les gitans y retrouvaient leur chemin.

 

 

Ils arrivèrent enfin à une caverne au sol sablonneux qui devait se trouver au centre de cette étrange garenne.

Un gros poteau de bois s'élevait dans un coin. Des cordes en pendaient. Claude et Annie furent consternées. On n'allait pourtant pas les attacher comme des prisonnières! Mais il en fut pourtant ainsi. Sans ménagement, leurs geôliers les firent asseoir sur le sol, dos au poteau, les ligotèrent à plusieurs tours, à hauteur de la ceinture, et firent par-derrière des nœuds si serrés et si compliqués qu'il aurait fallu aux captives des heures pour en venir à bout, à supposer qu'elles aient pu les atteindre.

«  Voilà, dirent les gitans en ricanant. Demain peut-être vous rappellerez-vous où sont les paquets.

— Allez me chercher mon chien! » ordonna Claude, mais ils se mirent à rire encore plus fort et les laissèrent seules. La chaleur était suffocante dans ce souterrain. Claude mourait d'inquiétude pour Dagobert. Annie, accablée, ne parvenait plus à rassembler deux idées.

Elle s'endormit presque aussitôt, malgré sa position inconfortable. Claude ruminait de sombres pensées. Dagobert… qu'avait-on fait de lui? Etait-il blessé? Souffrait-il? Elle ne put retenir ses larmes.

Elle se débattit dans ses liens; mais les cordes étaient très serrées et les nœuds inaccessibles. Soudain elle crut entendre un bruit. Un gitan revenait-il les questionner et les tourmenter? Oh! mon Dieu, si seulement Dagobert était là!

Atchoum!... Atchoum!...

«  Bonté du Ciel! Ce doit être Mario », pensa Claude avec un élan d'affection pour le petit gitan. « Mario! » chuchota-t-elle en allumant sa lampe électrique. Une tête ébouriffée parut, puis un corps malingre. Le petit garçon rampait à quatre pattes. Quand il fut dans le souterrain, il se redressa et regarda les deux fillettes,

«  Moi aussi j'ai été attaché là plusieurs fois, dit-il.

— Mario, comment va Dagobert? demanda anxieusement Claude. Dis-le-moi vite.

— Il ne risque rien, répliqua Mario. Il a reçu un coup et sa tête saigne. Je l'ai lavée. Il est attaché aussi et ça ne lui plaît pas du tout.

— Mario, écoute… Va chercher Dagobert et ramène-le, dit Claude. Et apporte-moi aussi un couteau pour couper ces cordes. Tu veux bien?

— Oh! je ne sais pas, dit Mario effrayé. Mon père me tuerait.

— Mario, si tu as envie de quelque chose, fais ce que je te demande et je te le donnerai. Je te le promets.

— Je voudrais une bicyclette, dit Mario. Et habiter une maison et aller à l'école comme les autres enfants.

— Je m'arrangerai pour que tu aies tout cela, Mario, promit Claude. Mais va chercher Dagobert et un couteau. Fais attention de ne pas être vu… Tu peux sûrement revenir avec Dagobert. Pense à ta bicyclette! »

Une lueur brilla dans les yeux de Mario. Il hocha la tête et disparut aussi silencieusement qu'il était venu… Claude attendit… Ramènerait-il le cher vieux Dagobert ou serait-il surpris par son père et sévèrement puni?